5e art 📚 Voyage en Uchronie - 1 - « Nous » - Zamiatine
🌍 Article public
📚 [Avant-propos]
Je commence ce voyage par certainement un des piliers du genre. C’est le premier livre de l’anti-utopie, de la dystopie si vous préférez ce terme. Il est le précurseur de bien d’autres que vous connaissez davantage : c’est le papa du « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley (1932) ou du plus célèbre encore « 1984 » de George Orwell (1949).
Le roman a été publié en 1920 et interdit en Russie à partir de 1923. Le roman est connu en France à partir d’une traduction anglo-américaine. Le présent article s’appuie sur la version de 2017, traduite du russe par Hélène Henry sous le titre « Nous ». Et oui il a fallut attendre 2017. Le précédent titre de l’œuvre (peut-être plus connu était « Nous autres ».
📚 [Épitomé]
Dans une société assujettie au bonheur infaillible et obligatoire, alors que la « dernière » de toutes les révolutions possibles a eu lieu, les hommes, enfermés sous une cité de verre, sont devenus des « Numéros ».
Ceux-ci paient de leur vie le moindre écart à l’ordre établi contre lequel, malgré tout, une poignée de dissidents va s’insurger.
🗨️ [Un mot sur l’auteur]
Zamiatine fut toujours considéré comme un « hérétique » par les pouvoirs tsaristes puis communistes. Grand amateur des œuvres de H.G Wells, ses écrits dénoncent les travers des régimes autocratiques et solitaires.
« Nous » est avant tout une critique de la révolution russe. C’est une dystopie (ou contre-utopie) violente et acerbe. Zamiatine y exprime sa grande déception face aux espoirs qu’il fondait dans cette révolution. Quand il écrit « Nous », la révolution est déjà retombée et les espoirs d’une belle révolution intellectuelle ont été remplacé par ce qu’il appelle des « aimables fonctionnaires ».
En 1931 il s’enfuit à Paris pour échapper au régime stalinien et aux censures (et certainement aux purges).
😺 [Mon avis]
Le roman suit les aventures de D-503, qui est en charge de la construction d’un énorme vaisseau spatial, l’ « Intégrale ». Rien que le nom déjà, vous voyez le projet ! Il a également pour mission de classer les civilisations extraterrestres sous le commandement du « Bienfaiteur », une sorte de méta-entité qui est assimilable à notre maître ordinateur de Parano.
D-503 tient un journal à la gloire de ce monde aseptisé et il y relate les débuts d’une insurrection qui le changer également.
Contrairement aux protagonistes de « 1984 » ou « Le meilleur des mondes », D-503 ne remets pas en question le régime, il l’adore. On suit donc un convaincu, un fidèle du régime et non un révolutionnaire.
Ce qu’il y a de génial c’est qu’on suit D-503 : il écrit sous formes de notes, ces notes formant des chapitres qui nous vantent en fait les mérites du propre système. Il dit que ce monde est parfait et nous explique pourquoi, à ses yeux, il est parfait et qu’il ne voudrait pour rien au monde d’un autre système. On devine sans mal, nous lecteurs contemporains, le lavage de cerveau et l’aveuglement total d’un tel fidèle dans un régime totalitariste.
Deuxième chose géniale, il écrit avec ses mots. Il décrit oui, mais en rationalisant le monde, sans pédanterie ni superflus. À l’image de la novlangue de 1984, il fait partie du système. Il transpose toute chose en arithmétique, par exemple.
C’est donc, pour Zamiatine, un double exercice de style. L’homme du futur qui s’adresse au lecteur du passé, avec son style froid et mathématique. Un délice, mais mon correcteur orthographique avait marqué un « délire » c’est également vrai.
Au final, dans son roman d’anticipation Zamiatine décrit un monde où chacun vit sous la surveillance de tous les autres. D’où le titre de l’œuvre « Nous ». Il n’y a plus d’individus, plus de noms. Ce sont des numéros (ça va les paranoïaques ?)
Un monde dans lequel le temps semble s’être arrêté, tant l’État qui sait très exactement comment les hommes doivent vivre pour être heureux contrôle la moindre activité. Le bonheur est obligatoire, rappelons-le.
Une ville totalement coupée également du concept de « nature » par un grand mur. Tout est géométrique, tout est calculé et toutes les formes architecturales ne sont que formes classiques de verre. Oui de verre ! Car comme dans tous les totalitarismes, la notion de vie privée n’existe pas puisque tout le monde se voit constamment. Glauque hein?
Tout est calculé pour qu’il n’y ait aucune liberté individuelle. L’intérêt est porté à la multitude, à l’État. La dissidence est considérée comme la plus grave des maladies. Toute personne croyant à la liberté individuelle et à l’amour n’est plus qu’une bête sauvage.
Un numéro absolu gouverne les autres numéros et D-503 loue ce système conformiste qu’il estime parfait.
« Nous » c’est une bonne grosse tartine dans la figure, je ne pouvais décemment pas commencer une chronique sur les uchronies sans commencer par la maman et le papa de ce genre-là.
1920, Zamiatine pose le pavé et oppose sa vision de la déchéance humaine aux mondes utopistes. L’anti-utopie est née en Russie.
📑 [Citations]
✒️
« Après avoir vaincu la Faim (ce qui algébriquement, nous assure la totalité des biens physiques), l’État Unique mena une campagne contre l’autre souverain du monde, contre l’Amour. »
✒️« Je me rendis compte alors, par expérience personnelle, que le rire est la plus terrible des armes, on peut tout tuer par le rire, même le meurtre. »
✒️« On dit que les anciens pratiquaient le vote secret, en se cachant comme des voleurs. […] Pourquoi tout ce mystère ? nous n’en savons rien aujourd’hui. […] Nous n’avons rien à cacher, nous n’avons honte de rien, c’est pourquoi nous fêtons les élections loyalement et en plein jour. Je vois les autres voter pour le Bienfaiteur et ceux-ci me voient également. Pourrait-il en être autrement puisque " tous " et " moi " formons un seul " Nous " ? Cette procédure est beaucoup plus ennoblissante et plus sincère que celle en honneur chez les anciens, " secrète " et d’une couardise de bandits. »
🔍 [Références]
Evgueni Zamiatine - Nous
Traduction par Hélène Henry, Actes Sud
2017
ISBN 978-2-330-07672-6
🔖 [Catégories]
Roman - Dystopie, uchronie
📌[Crédit photo]
Couverture du livre d’Acte Sud