Tsundoku - Défi d’écriture | Le centre
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LE CENTRE.
Dehors, il pleut. Il pleut depuis plusieurs jours. Une longue pluie qui ne cesse de discontinuer. Sur le chemin goudronné qui mène vers le Centre où il travaille. Son pas est las, blasé, déphasé, lassé. Engourdi dans une vie qui défile sur un tapis qui jamais ne cesse de fonctionner. Il arrive sur le parking du Centre et son mal être lui reprend à nouveau. Il n’a pas envie d’y entrer, d’enfiler son bleu de travail, de parler à ses collègues. Le Centre lui a pris toute son énergie au fil des années. Le bleu azur de ses pensées s’est mué en un gris marlboro. Le Centre est immense. Sa structure est aussi froide, austère et métallique qu’une prison. Tous les bâtiments qui composent le Centre sont pratiquement uniformes. Sphériques sont ceux sur les cotés et ceux du milieu sont des grandes tours. Pas de fenêtres, rien. Rien que des parois.
Dans le ciel couvert, de longues volutes de fumée serpentent depuis des jours. Le soleil peine à passer à travers le filtre opaque de ces cumulus agglutinés et qui ne semblent jamais se mouvoir tout au long de l’année. De là où il se trouve, il ne voit pas grand chose au loin. Cela fait des années que l’on ne voit plus grand chose, que le paysage est obombrer. Une odeur acre flotte également dans l’air. Une odeur habituelle qui s’attache à tout ce qu’elle touche. Il continue d’avancer sur le parking. Un parking implacable, macadamisé de tous les cotés. Aucune trace de végétation. Rien. Rien que des voitures électriques uniformes et conformes qui semblent être rangées comme une armée de soldats au garde à vous.
Des phares éblouissent son dos. Son dos qui inexorablement s’est voûté au fur des années. La voiture va se garer. Centimètre près de celle qui lui succédera. La porte claque, un homme sort. Un homme tout autant voûté. Le visage de celui-ci est creusé, ses yeux semblent éteints, il ferme la porte et d’un pas morne s’en va vers la porte du Centre avant de disparaître à l’intérieur, quelques minutes plus tard.
Il regarde l’homme s’engouffrer dans le Centre. Il soupire. Une nouvelle odeur prégnante flotte à nouveau dans l’air. Il s’arrête. Il n’a pas besoin de lever la tête pour voir que le ciel toujours nimbés de cumulus s’est orangé. Il pleut toujours. Une pluie dont l’odeur n’est plus celle de jadis. Il pose son sac au sol et quelques secondes plus tard, en extirpe un masque à gaz qu’il pose enfile à son visage. Quelqu’un le dépasse, une autre personne du Centre qui porte également un masque à gaz. Ils se regardent, n’échangent aucun regard, rien. L’autre continue son chemin comme si de rien n’était, lui aussi a son dos voûté. Le poids des années semble être une marque de fabrique.
Un bip sonore se fait entendre dans sa poche. Sans fouiller dedans, il sait qu’il s’agit d’un rappel. Il ne lui reste plus que dix minutes afin de prendre son service. Dix minutes pour passer son pouce devant l’écran de la machine, entendre le message de salutation au sein de Centre. Pour enfiler sa tenue et prendre son service. Tout est paramétré, millimétré, ordonné, cordonné. Du véritable papier à musique que personne n’est jamais parvenu à déloger.
Il n’est plus qu’à quelques mètres de la porte d’entrée. Une double porte, sans vitre, sans rien. Une double porte qui coulisse à chaque entrée et sortie. L’extérieur ne voit rien à l’intérieur et inversement. Moins on voit et moins on est sujet à être distrait. La double porte s’ouvre. Un ouvrier y sort, lui aussi porte un masque à gaz, son bleu de travail est taché. Il pousse une poubelle sur roulettes. Ses gestes sont précis, mécanisés, habitués. L’ouvrier ne le salue pas. Personne ne semble se saluer ni se parler. L’ouvrier s’évapore dans la masse gazeuse qui recouvre l’endroit. Évaporé comme de la rosée. Mais cela fait des années qu’il n’y a plus de rosée. Il n’y a quasiment plus que du béton et du goudron. Tout le monde semble s’y être habitué.
La double porte se referme au même moment où une alarme retentit à l’intérieur. Il ne lui reste plus que quelques minutes pour se préparer. Il ne faut pas qu’il soit en retard. Chaque minute de retard à des conséquences sur son salaire. Au bout de dix minutes de retard, le verdict est sans appel. C’est un licenciement à la clé. Depuis les années où il se trouve ici, il n’a accumulé qu’une minute de retard. C’est un très bon ouvrier. Il ne faut pas qu’il soit en retard. La double porte s’ouvre à nouveau comme une guillotine en perpétuel mouvement.
Il pénètre dans le Centre. Dehors, il pleuvine à présent. Le ciel est un épais voilage lourd, sombre et pesant.
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Au moment précis où les doubles portes automatiques s’écartent pour le laisser entrer et prendre son service, il est assailli comme chaque matin depuis son engagement au Centre par des visions de l’Avant.
Que ça lui manque l’Avant... L’Avant c’était des émotions à chaque carrefour, des couleurs dans les rues ou sur les vêtements que l’on pouvait s’acheter ou se faire soi même sans contraintes, de la joie sur les visages, de la musique par les fenêtres et les odeurs des plats qui mijotent dans les cuisines des particuliers ou des restaurants...